Recrutement : pourquoi les stéréotypes sur les jeunes ont la vie dure…

Les idées reçues concernant les jeunes diplômés perdurent, même si elles ne se vérifient pas dans les faits. Comment sortir des stéréotypes et en limiter les effets négatifs ?

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Jean Pralong, École de Management de Normandie – UGEI

L’existence de stéréotypes concernant les jeunes et leurs comportements est un constat récurrent. Les jeunes disposeraient de caractéristiques comportementales qui les éloigneraient des attentes légitimes des entreprises : ils auraient des exigences renforcées vis-à-vis de l’ambiance de travail, seraient plus individualistes, moins respectueux de la hiérarchie, et plus difficiles à intégrer dans les équipes. Plus créatifs et davantage multitâches, ils seraient finalement plus compliqués à manager et à fidéliser.

Ces idées reçues ne sont pas vérifiées dans les faits. Mais les effets de ces croyances irrationnelles ne sont pas anecdotiques : elles sont une cause significative des difficultés que rencontrent les jeunes dans leurs parcours vers l’emploi, en particulier en France.

Notre étude européenne, qui analyse les causes des différences de taux d’insertion des jeunes en Europe, montre en effet que c’est dans l’hexagone que l’adhésion aux stéréotypes générationnels est la plus forte. Cette adhésion est fortement impliquée dans les différences de taux de chômage et explique près de 20 % des différences de trajectoires d’accès à l’emploi, à diplôme équivalent.

Extrait de l’étude « Comment les stéréotypes sur les jeunes nuisent à leur employabilité en France » (juillet 2019).
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Mais comment ces stéréotypes agissent-ils concrètement pour freiner l’insertion des jeunes ?

Dans la boîte noire du recruteur

Comprendre le fonctionnement d’un stéréotype, c’est aussi comprendre le fonctionnement cognitif de ceux qui y ont recours dans leur activité quotidienne. Or l’ambiguïté se situe justement dans le quotidien des recruteurs. Elle provient, paradoxalement, d’un excès d’information : plus la quantité d’information présente dans un CV augmente, plus le recruteur a de mal à les gérer et à en reconstituer une image cohérente. Or, ce volume tend à augmenter à l’heure où les outils numériques comme LinkedIn, dans lesquels les candidats peuvent entrer bien plus de données que dans un CV d’une page, prennent de la place dans le processus de recrutement. Le recruteur aura donc plus tendance à remplacer ces données nombreuses par un stéréotype simple et cohérent.

Nous avons soumis des CV à des cadres de services en ressources humaines, puis nous leur avons demandé d’évaluer chaque candidat selon les 3 caractéristiques supposées de la jeunesse (individualisme, irrespect de la hiérarchie et créativité). Enfin, nous leur avons demandé de noter l’attractivité de chaque profil. Dans tous les cas, il s’agissait de pourvoir un poste commercial dans une boutique de téléphonie mobile. Les CV étaient comparables en matière de formation et de compétences. Seules variaient deux rubriques : l’âge (19 ou 29 ans) et les loisirs (aucun ou intérêt pour les jeux vidéo).

Le candidat de 29 ans n’est pas évalué à partir du stéréotype, quels que soient ses loisirs : les recruteurs ne lui associent pas les 3 caractéristiques supposées de la jeunesse et ils jugent son profil attractif. Plus le candidat est jeune et plus il mentionne un intérêt pour les jeux vidéo, plus la situation s’inverse. Les recruteurs attribuent des caractéristiques jeunes très fortes au candidat de 19 ans qui pratique les jeux vidéo. Son profil est rejeté.

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Les documents de candidature (CV traditionnels ou profils LinkedIn) sont des documents complexes mais, surtout, ambigus. Le recruteur n’ignore pas que les postulants font un usage stratégique des informations qu’ils transmettent. En conséquence, le tri des CV est un travail d’interprétation plutôt que d’analyse. Et plus l’information est ambiguë, plus le lecteur aura tendance à combler le déficit d’information avec des idées simples et rassurantes, c’est-à-dire capables de lui donner une image synthétique du candidat et de faciliter la prise de décision. Telle est la fonction psychologique d’un stéréotype : fournir au lecteur une solution d’interprétation simple. Le stéréotype est, finalement, un portrait type déduit automatiquement à partir de quelques détails.

Deux propositions pour dépasser les stéréotypes

Pour tenter de sortir de ces stéréotypes et en limiter leurs effets négatifs, deux possibilités s’offrent aux recruteurs. Ils peuvent d’abord miser sur les technologies d’intelligence artificielle (IA) pour trier plus efficacement les profils. On évoque souvent l’IA comme un outil qui se pourrait prendre en charge les tâches à faible valeur ajoutée, trop simples pour les humains. Or, dans le cas du tri des CV, on pourrait faire la proposition inverse. C’est justement parce que le tri des CV est une tâche trop complexe pour les humains qu’une IA performante pourrait le faire.

Deuxième solution que l’on pourrait avancer pour les recruteurs : remplacer l’interprétation par l’évaluation des compétences. Si les stéréotypes ont bien une influence sur le recrutement des jeunes, on pourrait aussi formuler l’explication que le marché du travail cible, sans assez de distinction, les « jeunes diplômés » et les « juniors ». En d’autres termes, les jeunes fraîchement diplômés seraient en concurrence avec des actifs ayant déjà accumulé quelques années de vie professionnelle.

Ces premières années sont décisives. Elles valident les compétences professionnelles et, surtout, les comportements. Une entreprise qui préfère un « junior » détenteur d’une première expérience à un jeune diplômé se rassure en supposant que les premières années de vie professionnelle auront permis l’acquisition de comportements adéquats. Or, un jeune diplômé, par définition, n’est pas vierge de toutes compétences. Il existe donc un enjeu : aider les recruteurs à évaluer plus directement et plus objectivement les compétences nécessaires à la réussite dans le poste.The Conversation

HR Insights #01, « Comment les stéréotypes sur les jeunes nuisent à leur employabilité en France » (EM Normandie, juillet 2019).

Jean Pralong, Professeur de Gestion des Ressources Humaines, École de Management de Normandie – UGEI

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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