Le mal-être psychologique au travail : une facture économique lourde

image-20161117-18138-1voccw4Quasiment toutes les études ayant eu pour objet le bien-être au travail montrent une inquiétante progression d’indicateurs alarmants. Partout dans le monde, le travail se trouve de plus en plus souvent à l’origine des détériorations de la santé psychologique des individus.
Adam Chati, Université Mohammed V de Rabat – Mohammed V University in Rabat

En effet, les études empiriques réalisées autour de ces questions confirment que la santé psychologique des travailleurs est de plus en plus en péril, notamment en raison du stress professionnel qui concerne une grande partie des travailleurs.

Montée du stress : le cas du Québec

Ainsi, comme Bordeleau et Traoré (2007) l’expliquent au sujet du Québec, plus de 30 % des employés québécois endurent un niveau de stress aussi permanent qu’élevé. Une conclusion très largement partagée par Watson Wyatt (2005) qui, deux années auparavant, avançait que 75 % des arrêts maladie, quelle qu’en soit la durée, sont la conséquence directe des problèmes liés à la santé psychologique dans le cadre de l’exercice professionnel.

Une situation inquiétante que la quasi-totalité des systèmes de prévoyance sociale à travers le monde n’ont pas manqué de souligner. La plupart des organismes en charge de la santé et de la sécurité au travail se sont retrouvés de plus en plus submergés par les réclamations de la part des travailleurs dont les demandes de remboursement grossissent d’année en année.

C’est le cas, à titre d’exemple, de la Commission des normes, de l’Équité, de la Santé et de la Sécurité au Travail (CNESST) qui, au Québec, fait office d’organisme chargé de la promotion des droits et des obligations en matière de travail et en assure le respect, et ce, tant auprès des travailleurs que des employeurs.

À ce titre, la CNESST publie des rapports réguliers portant notamment les questions relatives à la santé et à la sécurité au travail et réalise des activités d’information, de sensibilisation et de prévention sur les normes du travail.

Urgences et injonctions contradictoires

En France, la situation relative aux souffrances notamment psychologiques occasionnées par le travail est identique. Ainsi, des études de la Direction de l’Animation de la Recherche, des Études et des Statistiques (DARES) sur les conditions de travail font apparaître que plus d’un employé sur deux travaille dans l’urgence, que 35 % des travailleurs reçoivent des ordres ou indications contradictoires et qu’un tiers des salariés considèrent leurs relations de travail comme étant des sources de tension.

Au vu des conditions de plus en plus malaisées au sein desquelles les travailleurs sont contraints non seulement d’assurer les missions et les responsabilités qui sont les leurs, mais aussi et surtout d’être productifs et performants, il est tout à fait normal que la santé notamment psychologique de ces derniers en pâtisse grandement.

Or, les ennuis de santé des travailleurs occasionnent des pertes économiques considérables pour le budget des États. Ces pertes sont de nos jours si importantes que, dans de nombreux cas, elles menacent de porter un sérieux préjudice à la pérennité et à la viabilité du modèle économique relatif aux établissements de prévoyance sociale.

En France, l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS), est l’un des organismes chargés des questions de santé et de sécurité au travail, qui intervient en lien avec les autres acteurs institutionnels de la prévention des risques professionnels, notamment par le biais d’études, d’outils et de services aux entreprises et aux 18 millions de salariés relevant du régime général de la Sécurité sociale.

Et c’est dans le cadre de sa mission que :

« en 2007, l’INRS a évalué le coût social du stress en France de 2 à 3 milliards d’euros. Les auteurs insistent sur le fait qu’il s’agit d’une évaluation à minima. Les chiffres réels sont vraisemblablement bien supérieurs ».

Un coût élevé pour la Sécurité Sociale

Nul besoin donc de préciser que les inquiétudes de l’INRS au sujet de la facture extrêmement lourde du stress professionnel sont bel et bien fondées. Il suffit pour s’en convaincre de considérer les nombreuses études qui, à ce sujet, avaient sonné l’alarme depuis de nombreuses années déjà.

C’est notamment le cas de l’étude faite par Gabriel et Liimatainen en 2000 et qui avait permis de conclure que les ennuis de santé, notamment psychologiques, engloutissent 3 % à 4 % du produit national brut au niveau de toute l’Union européenne. Une perte colossale, mais compréhensible dès lors qu’elle est mise au regard de l’évaluation du stress, faite par la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail, et qui, à son tour, a permis de conclure que 22 % des salariés européens sont stressés.

Cette estimation n’est pas sans rappeler celle faite en France par l’INRS au sujet des pertes occasionnées à la Sécurité sociale, faisant état de 830 à 1656 millions d’euros par an ; ce qui représente l’équivalent de 10 à 20 % de la branche AT/MP de la Sécurité sociale.

Une étude similaire effectuée la même année par Paolli et Merllié, confirme, sous un autre angle, l’envergure des pertes économiques occasionnées par ce phénomène puisqu’elle estime que le stress professionnel représente 60 % environ des journées de travail perdues au niveau de l’Union européenne.

Des dégâts économiques lourds

De nombreuses autres études corroborent ces données alarmantes à plus d’un titre et en précisent les contours. Ainsi Code et Langan-Fox (2001) ont mis en exergue les effets dévastateurs du stress professionnel et de la mauvaise santé psychologique sur les travailleurs et qui se traduisent aussi bien par des signaux organiques (hypertension, problèmes cardiaques) que des signaux psychologiques (états dépressifs).

Pour leur part, Stephens et Joubert (2001) ont abouti à la même conclusion mise en exergue, deux années auparavant, par Danna et Griffin (1999) et en vertu de laquelle la mauvaise santé psychologique au travail occasionne des dégâts économiques gigantesques se déclinant notamment en absentéisme, baisse de productivité des travailleurs, coûts d’assurance maladie, poursuites judiciaires pour des questions de santé et/ou de sécurité au travail, etc.

Même aux États-Unis

Sur le continent américain, le stress professionnel sévit de la même manière et génère les mêmes dégâts. Bender, et coll. (2002) font partie des nombreux chercheurs qui se sont penchés sur ce fléau. Leur estimation du coût économique généré par le stress professionnel au Canada s’élève à quelque 33 milliards de dollars par an.

Pour ce qui est des États-Unis, la situation est encore plus catastrophique puisque l’étude faite par Karasek et Theorell (1990), plus d’une dizaine d’années avant celle de Bender et coll., faisait déjà état de quelques 150 milliards de dollars de pertes essuyées par l’économie américaine à cause de la mauvaise santé des travailleurs.

Inutile de préciser que, confrontés à des données aussi effarantes, aussi bien les chefs d’entreprises que les différentes instances gouvernementales concernées ont été amenés à mettre la santé au travail au premier plan de leurs préoccupations.

Ainsi, parce qu’il y va de la pérennité des entreprises quelle qu’en soit la taille ou la nature, la santé au travail est devenue l’un des défis les plus cruciaux pour les managers d’aujourd’hui.

Mais parce qu’il y va également de la stabilité sociale et de la richesse économique au niveau de tout un pays, la santé au travail est également l’un des enjeux principaux qui taraudent les responsables politiques au même titre que les différentes instances nationales en charge des questions de la santé et de la sécurité au travail.


Cet article a été écrit avec l’aide de Nadia Motii, enseignant-chercheur en sciences de gestion à l’université Mohamed V de Rabat.

The Conversation

Adam Chati, Doctorant en Sciences de Gestion, Université Mohammed V de Rabat – Mohammed V University in Rabat

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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