Assurance-chômage : favoriser (un peu) le travail indépendant au détriment des salariés

Le système d’assurance a été mis en place dans une société du salariat pour une population de salariés. La réforme présentée entrée en vigueur le 1ᵉʳ novembre dernier annonce une vraie rupture, épiphénoménale d’un changement de vision sociétale en faveur de l’entrepreneuriat.
Les nouvelles règles d’indemnisation devraient concerner 710 000 personnes la première année de leur mise en œuvre.
Gérard Bottino / Shutterstock

Arnaud Lacan, Kedge Business School

Depuis son instauration en 1958, l’assurance-chômage protège tous les salariés du privé et certains du secteur public en cas de perte d’emploi en leur versant une allocation et en favorisant leur retour à l’emploi, grâce à des aides en matière de formation notamment. Fonctionnant comme une assurance dont les salariés sont en partie les financeurs, elle les indemnise en fonction de leur ancien salaire.

Cette allocation représente en moyenne 72 % de l’ancien salaire net et peut durer jusqu’à 2 ans, et même 3 ans pour les plus de 55 ans. Outre les salariés, l’employeur contribue également au financement puisque ces cotisations représentent 4,05 % du salaire brut. L’État, enfin, participe au financement de l’assurance-chômage puisque, depuis janvier 2019, ce financement prend la forme du versement d’une partie de CSG.

Il est facile de comprendre que ce système d’assurance a été mis en place dans une société du salariat pour une population de salariés. C’est cet aspect qui fait de la réforme présentée en juin dernier et qui est entrée en vigueur le 1ᵉʳ novembre dernier une vraie rupture, épiphénoménale d’un changement de vision sociétale en faveur de l’entrepreneuriat.

Fragilisation du salariat

Pour toucher des indemnités, il faut désormais avoir travaillé au moins 6 mois sur les 24 derniers mois, alors que 4 mois sur les 28 derniers suffisaient auparavant. Même s’il est vrai que le marché de l’emploi est globalement plus favorable, il est indéniable que cette mesure va dans le sens de la fragilisation du salariat puisqu’il affaiblit leur protection sociale publique. Selon les études de l’Unédic, l’association chargée de la gestion de l’assurance-chômage, ce changement de règles devrait concerner 710 000 personnes la première année.

Le seuil des droits rechargeables qui permet d’allonger la durée d’indemnisation quand un demandeur d’emploi retravaille est aussi modifié. Il faudra désormais travailler 6 mois (soit la durée requise pour avoir droit à indemnisation) au lieu d’1 jusqu’à maintenant. Cette mesure vide de sa substance le principe même des droits rechargeables puisqu’elle aligne la durée de travail pour recharger et la durée de travail pour être indemnisé.

Extrait du document de l’Unédic « Impact de la réforme de l’assurance-chômage ».
Unédic.org

Cela devrait conduire à diminuer de 30 000 le nombre mensuel d’ouvertures de droit, principalement à des jeunes qui multiplient les contrats courts. Une situation suffisamment étendue pour que Pôle emploi ait dû envoyer deux millions de courriers pour informer les allocataires des modifications de ce mécanisme.

L’impact financier de ces deux mesures devrait permettre à l’Unédic d’économiser 1,9 milliard d’euros d’ici à fin 2021.

Enfin, est mise en place une dégressivité de l’allocation pour les hauts revenus de 30 % au bout de 6 mois. Elle ne touchera cependant que les demandeurs d’emploi âgés de moins de 57 ans, dont le salaire est supérieur à 4 500 euros bruts et ne pourra toutefois pas descendre en dessous de 84,33 euros bruts par jour. L’Unédic chiffre à 11 000 euros bruts de perte moyenne par allocataire et à 70 000 le nombre de cadres concernés sur l’année 2020. La mesure devrait, quant à elle, engendrer 160 millions d’euros d’économies d’ici à fin 2021.

Une mesure (limitée) pour les démissionnaires

En synthèse, cette réforme est un coup porté aux salariés cr elle détricote leur protection sociale. Mais elle est aussi une réforme dans l’air de son temps puisque le salariat est sur une tendance baissière en France depuis quelques années au profit d’autres modes d’organisation comme l’entrepreneuriat, notamment par le travail indépendant. Il n’est donc pas illogique qu’elle s’attache à trouver des solutions de protection sociale pour les entrepreneurs au détriment des salariés.

Une mesure est ainsi mise en place pour créer une indemnisation pour certains salariés démissionnaires désireux de faire le saut vers l’entrepreneuriat avec un projet professionnel jugé sérieux. Attendue depuis plusieurs mois, cette mesure était initialement présentée comme une contrepartie « sécurité » à la « flexibilité » des ordonnances travail et a été votée il y a déjà un an dans la loi « avenir professionnel ».

D’aucuns font remarquer son aspect très cadré, et donc limité, puisqu’il faudra avoir cinq ans d’ancienneté dans l’entreprise quittée et présenter dans les six mois suivants la démission un projet professionnel « réel et sérieux » devant une commission régionale pour prétendre à une indemnisation. Selon le ministère du Travail, cette mesure pourrait concerner entre 17 000 et 30 000 personnes et coûtera 300 millions d’euros en 2020.

Il faut noter toutefois qu’il existe déjà des cas où une démission peut entraîner le versement de l’allocation, comme le rapprochement de conjoint par exemple, ou la démission pour s’occuper d’un enfant en situation de handicap. La nouveauté de cette mesure, à la portée limitée, réside donc surtout dans le soutien au projet de création d’entreprise.

Concernant les travailleurs indépendants, la réforme instaure pour la première fois une assurance-chômage pour ces indépendants pour une somme de 26,30 euros d’allocation chômage journalière, soit environ 800 euros par mois pendant 6 mois. Ils devront pour toucher cette indemnité avoir généré un revenu d’activité d’au moins 10 000 euros par an sur les deux derniers exercices avant redressement ou liquidation judiciaire de leur entreprise.

La mesure qui devrait, selon l’Unédic, bénéficier à 30 000 bénéficiaires, coûtera 140 millions d’euros. Cette mesure a le mérite de sécuriser un peu la situation financière des travailleurs indépendants contraints à cesser leur activité en cas d’insuccès du projet entrepreneurial.

3 millions de travailleurs indépendants

Ses détracteurs font toutefois remarquer le côté un peu chiche du montant de l’indemnisation, laissant ainsi une place importante aux mécanismes de prévoyance déjà proposés par les acteurs privés du marché.

La réforme de l’assurance chômage s’inscrit donc clairement dans une dynamique de soutien au travail indépendant… au détriment du salariat, suivant la tendance de l’époque. Le nombre de travailleurs indépendants, estimé à près de 3 millions (12 % de la population active), aurait en effet augmenté de 25 % depuis 2003, soit 10 fois plus vite que la population salariée, signe d’un véritable mouvement de fond.

Economie.gouv.fr

Cette tendance concerne en outre en premier lieu les jeunes puisque la moyenne d’âge des créateurs d’entreprise est 38 ans. Elle est encore plus marquée chez les moins de 30 ans qui représentent 38 % des créateurs d’entreprise (et jusqu’à 50 % dans le conseil) et que les moins de 30 ans représentent 43 % des créateurs de microentreprise.

Toutefois, ces chiffres ne disent pas si la situation de ces entrepreneurs est totalement choisie ou subie, faute de pouvoir s’insérer dans le salariat… Cependant, il semble que cette tendance soit plutôt un mouvement de fond qu’un simple phénomène de mode.The Conversation

Arnaud Lacan, Professeur de management – Chercheur au GREQAM AMSE – Titulaire de la Chaire AGIPI KEDGE « Le travail indépendant et les nouvelles formes d’entrepreneuriat », Kedge Business School

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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