Partir à la retraite ressemble davantage à une période de transition qu’à une rupture. Même pour qui ne continuerait pas une activité à temps partiel, une forme de continuité est souvent envisagée.
Richard Huaman Ramirez, Université de Strasbourg et Khaled Lahlouh, Université internationale de Rabat (UIR)
Âge de départ, durée de cotisations, évolution du nombre d’actifs par rapport au nombre de retraités, taux de remplacement… Parmi les nombreuses questions soulevées par la problématique des retraites demeure également celle du sens qu’on souhaite lui donner. Âge du loisir, de la « paresse » a-t-on pu entendre sur les bancs de l’Assemblée nationale, la période n’est cependant pas toujours synonyme de retrait définitif du monde du travail, parfois par contrainte financière, parfois par choix. De plus en plus, prendre sa retraite relève davantage d’un processus que d’une rupture, d’un développement particulier de la carrière plutôt que d’une sortie.
Nous avons, pour notre part, étudié les intentions des cadres français du secteur privé en la matière. Beaucoup cumulent durant la retraite plusieurs activités professionnelles, ce que la littérature scientifique a désigné sous l’appellation d’ « emploi pont », ou « bridge employment » en anglais.
Comprendre le phénomène et tenter de l’anticiper peut s’avérer particulièrement utile. Beaucoup d’entreprises témoignent de leurs difficultés à recruter, notamment pour des tâches d’encadrement : plus de la moitié des recrutements de cadres était envisagée comme difficiles par les entreprises en 2022 selon l’Association pour l’emploi des cadres (Apec). Au milieu également des injonctions multiples à rehausser le taux d’emploi des séniors, mesurer les intentions de chacune et chacun donne des indications précieuses.
C’est à la construction de ces outils que nous avons travaillé, dressant le constat d’une littérature relativement incomplète sur le sujet. Il s’agissait notamment de pouvoir approcher cette étape de la vie autrement que selon les méthodes économiques ou gérontologiques, qui définissent ce qu’est être retraité selon la composition de son revenu ou un nombre d’heures travaillées déclarées.
La retraite comme continuité
Nos travaux s’inscrivent dans le cadre de la théorie du comportement planifié selon laquelle l’intention initiale joue un rôle central pour déterminer le comportement effectif. Des auteurs qui séquencent le processus de départ en retraite font de l’intention de départ une première étape. Une étude menée aux Pays-Bas, aujourd’hui certes un peu ancienne puisque datée de 1997 observait, en termes de retraite, que 83 % des intentions de départ anticipé étaient effectivement suivies.
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Pour orienter notre démarche, nous avons réalisé une série d’entretien dont nous nous sommes vite rendu compte qu’ils devenaient redondants (dès le treizième en fait), témoignant de comportements et intentions assez homogènes. Retrait définitif ou continuation d’une activité professionnelle ? Dans son secteur de carrière ou dans un autre ?
Il apparaît que même les personnes souhaitant se retirer définitivement de la vie professionnelle cherchent tout de même à agir en continuité avec leurs expériences passées, en s’engageant dans d’autres rôles sociaux mais en lien avec leurs compétences de carrière. Un directeur d’une agence bancaire envisage ainsi :
« On a de bonnes relations avec l’Association pour le droit à l’initiative économique (ADIE), qui est la principale association microcrédit en France, pourquoi ne pas aller leur donner un coup de main. Je suis assez proche de leurs valeurs de solidarité… »
Si l’on continue ainsi dans son domaine d’activité mais en s’étant retiré de la vie professionnelle, on insistera alors sur les caractères bénévoles et caritatifs de son action, comme ce consultant en énergie :
« Je ne parlerais pas d’emploi : si on dit emploi, on va dire rémunération, et pour moi, ça sera vraiment du bénévolat. Chez nous, nous avons deux bureaux d’aide sociale, on peut par exemple participer aux Restaurants du cœur… Je ne reprendrai pas de travail derrière, ça, c’est sûr ! »
Pareils arguments font dire à certains sociologues que la retraite serait davantage un salaire continué (un retraité est rémunéré pour une activité qu’il a librement choisie) qu’un revenu différé (un retraité touche une pension qui est la contrepartie de cotisations versée au cours de la vie active, comme s’il s’agissait d’argent mis de côté).
Un outil pour accompagner les fins de carrière
Pour ceux qui poursuivent une activité à titre professionnel, salariés ou indépendants (la retraite est parfois un moment pour se mettre à son compte), ce sera à temps partiel. Un responsable informatique n’imagine pas autre chose :
« Si l’on continue après avoir travaillé 42 ou 43 ans, ce n’est pas pour être dans le même rythme qu’en activité : le but est quand même d’avoir du temps à consacrer à sa famille, à des loisirs, voilà quoi ! »
Là encore, l’activité n’est pas envisagée dans un autre domaine que celui de la vie professionnelle :
« Je ne me vois pas à 63 ou 65 ans me reformer en peintre bâtiment, ou en écrivain public. Soit on dit : on est dans le monde pur du loisir, ce qui est tout à fait, je dirais défendable et honorable ; soit on dit que ça va être une activité professionnelle. Dans ce cas, même réduite, il faut qu’elle s’appuie sur un savoir-faire, des compétences qui puissent être reconnus et éventuellement “monnayables”, que l’on puisse justifier d’avoir des clients en face ».
Outre ces traits généraux, nous avons, de ces entretiens extraits plusieurs phrases qui donneraient des indications de l’intention réelle. Une intention ne s’exprime en effet pas toujours avec la dichotomie « je me retirerais complètement » ou « j’occuperai un emploi pont », notamment car, comme notre propos le suggère, tout cela reste relativement poreux. Penser que « la retraite et l’activité professionnelle à temps partiel ne font pas bon ménage » est par exemple un indice de ne pas vouloir occuper un emploi pont.
Les différents items que nous avons construits, 12 au total, ont été soumis à une batterie de tests statistiques afin de s’assurer qu’ils constituent des indices pertinents. 10 ont finalement été retenus pour leur fiabilité satisfaisante. Aux responsables des ressources humaines désormais de s’en saisir pour apprivoiser au mieux les fins de carrière des cadres de leur entreprise. Cela peut leur permettre de cibler qui souhaite rester actif durant sa retraite et pourrait apporter une plus-value, par ses compétences, à l’entreprise.
Richard Huaman Ramirez, Associate professor à l’EM Strasbourg, Université de Strasbourg et Khaled Lahlouh, , Université internationale de Rabat (UIR)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.