Bien-être au travail : et si les SCOP avaient tout compris ?

En associant davantage les salariés aux décisions, le modèle coopératif répond notamment au besoin de valeurs, de sens, de reconnaissance ou encore d’autonomie dans le travail.
Flickr/Levan Ramishvili, CC BY-SA
Claude Fabre, Université de Montpellier et Florence Loose, Université de Montpellier


Le taux de pérennité à 5 ans des SCOP a augmenté de 3 points par rapport à 2021 : il atteint 76 % contre 61 % pour l’ensemble des entreprises françaises. (Ici, l’ancienne usine Fralib de Gémenos (13), produisant des thés et infusions, qui s’est transformée en SCOP en 2014).

La réforme des retraites de 2023, qui entérine le report de l’âge légal de départ à 64 ans, soulève la question de la soutenabilité du travail. Selon la Dares, la direction statistique du ministère du Travail, 37 % des salariés ne se sentaient pas capables, en 2019, de tenir dans leur travail jusqu’à la retraite. L’exposition aux risques professionnels – physiques ou psychosociaux – explique notamment ce chiffre élevé.

Les difficultés de recrutement et les différentes formes de démission (visible ou silencieuse) que connaissent de nombreuses entreprises s’expliquent en partie par les conditions de travail perçues dans le secteur ou dans le poste proposé, et, plus globalement, par le déphasage entre les attentes des uns et les offres des autres. Deux années de crise Covid ont profondément changé la donne. Ce n’est donc pas pour rien si les spécialistes considèrent aujourd’hui la Qualité de Vie et des Conditions de Travail (QVCT) comme un facteur central d’attractivité, de fidélisation et de performance de l’entreprise.

Face à cette situation, les auteurs de l’étude de la Dares concluent :

« Une organisation du travail qui favorise l’autonomie, la participation des salariés et limite l’intensité du travail tend à rendre celui-ci plus soutenable ».

L’exposition aux risques, physiques ou psychosociaux, va de pair avec un sentiment accru d’insoutenabilité. L’autonomie et le soutien social (de la part des supérieurs, des collègues, ou des représentants du personnel) favorisent au contraire la soutenabilité, comme la participation à la prise de décisions atténue les impacts des changements organisationnels.

Ce type d’organisation se retrouve justement dans les sociétés coopératives et participatives (SCOP). Il s’agit de sociétés anonymes (SA) ou de société à responsabilité limitée (SARL) devenues « entreprises de l’économie sociale et solidaire » (ESS) par choix et par agrément. Les principes (but poursuivi autre que le profit, double projet humain et économique) et les règles de l’ESS (gouvernance, partage des bénéfices) sont ainsi inscrits dans leurs statuts.

Finalités et règles de gouvernance et de partage propres aux SCOP.
Fourni par l’auteur

Dans ces structures, les salariés sont les associés majoritaires : ils détiennent au moins 51 % du capital social et 65 % des droits de vote. Le pouvoir y est exercé démocratiquement et les profits, les risques ou encore les compétences sont partagés. Les SCOP se distinguent ainsi des entreprises classiques par les finalités et les principes qui les guident, le statut d’associé ouvert à leurs salariés, et leur fonctionnement décisionnel, organisationnel et rétributif. La qualité de vie et le bien-être au travail sont au cœur du projet, et ne sont pas des enjeux secondaires ou optionnels.

Au terme de deux enquêtes menées auprès de 205 dirigeants et 554 collaborateurs (dans une recherche en partenariat avec la confédération générale des SCOP, la CGSCOP), nous avons effectivement pu constater une implication et un engagement au travail élevés, ainsi qu’un sentiment généralisé de bien-être.

Pouvoir effectif

Les dirigeants comme les coopérateurs expriment en moyenne des niveaux de bien-être élevés. Le tableau ci-dessous récapitule les auto-évaluations de nos répondants (note sur 10) :

Ce bien-être est favorisé par les pratiques coopératives (organisation du travail, de la décision, rétribution) qui jouent sur l’implication, l’engagement et le sentiment de sécurité des collaborateurs. Il impacte aussi la performance économique de l’entreprise.

Les salariés apprécient notamment leur pouvoir décisionnel. Le sentiment d’« empowerment », c’est-à-dire d’émancipation, de « prise de pouvoir », est en effet particulièrement élevé (8,32/10). D’après la chercheuse américaine Gretchen M. Spreitzer, c’est ce qu’éprouvent des salariés quand ils exercent un pouvoir effectif sur leur environnement professionnel, à travers un sentiment de compétence, d’impact sur ce qui se passe dans leur entreprise, d’autonomie dans les décisions qui concernent leur travail, et de sens qu’ils trouvent à leur travail.

[Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. Abonnez-vous aujourd’hui]

Ainsi, même si les coopérateurs ne se saisissent pas tous de la même façon de leur droit à la parole et qu’en pratique la participation est variable, ces sociétés se caractérisent par une participation assez élevée des membres à la prise de décisions stratégiques et opérationnelles.

Pour les coopérateurs, il découle de ce pouvoir décisionnel le sentiment d’une réelle implication vis-à-vis de leur organisation. Le tableau ci-dessous montre les auto-évaluations des salariés concernant différents niveaux d’implication :

On note enfin que les salariés-associés ont un niveau d’implication affective, d’implication normative, d’empowerment (à travers les sentiments de compétence, d’autonomie, et d’impact), et un sentiment de sécurité de l’emploi plus élevés que les salariés non-associés.

Contrat psychologique

Nos répondants estiment, globalement, que le contrat dit psychologique avec leur société est particulier et spécifique à ce type de structure. En effet, le contrat entre un salarié et une entreprise n’est pas seulement juridique : il est aussi moral. Ce que je peux donner (mes contributions) comme ce que je peux recevoir (les rétributions) va au-delà du contrat de travail. Par exemple, je donne ma loyauté en échange d’une qualité de vie au travail. C’est un « deal » que les salariés-associés estiment équilibré.

Notre étude dévoile l’importance des valeurs coopératives (soutien, partage, participation démocratique, droit à la parole, etc.) dans le contrat psychologique au sein des SCOP. Ces aspects « immatériels » du contrat permettent de compenser des aspects plus matériels (rémunération, formation, développement de carrière, etc.) pour lesquels les SCOP ne surpassent pas les entreprises traditionnelles.

L’équilibre du contrat psychologique dans les SCOP.
Fourni par l’auteur

En effet, les coopérateurs estiment que leur contrat « immatériel » a d’autant plus de valeur qu’il serait très difficile à retrouver ailleurs, dans les organisations classiques. De plus, cette composante immatérielle du contrat permet de prédire des variables clés telles que le bien-être des coopérateurs, ainsi que le sens élevé qu’ils accordent à leur travail.

La nécessité d’un leadership « transformationnel »

Cependant, pour tous, dirigeants comme coopérateurs, le niveau de bien-être dépend du style de leadership. Même si les collaborateurs sont associés et si le terme « gérant » ou « référent » est souvent préféré à « dirigeant » ou « manager », la présence d’un leader pour faire vivre le modèle coopératif reste nécessaire.

Les différences entre leadership « transformationnel » et « transactionnel ».
Fourni par l’auteur

Les enquêtes menées révèlent l’importance du style de leadership adopté au sein de ces sociétés. Le style dit « transformationnel » (qui encourage l’autonomie, la reconnaissance et la valorisation de chaque membre) est en parfaite adéquation avec les valeurs et le fonctionnement des SCOP. Un tel dirigeant a donc une influence très positive sur le bien-être au travail de tous les membres, y compris le sien. En revanche, si son style est plutôt « transactionnel », ses comportements professionnels apparaissent comme peu adaptés au fonctionnement coopératif et incompatibles avec les aspirations des coopérateurs : ce style ne favorise d’ailleurs ni son propre bien-être, ni celui des autres.

Ces résultats mettent en évidence une spirale vertueuse, caractérisée non par des dispositifs très innovants, comme nous pouvions l’imaginer, mais par des grappes de pratiques organisationnelles et managériales humainement valorisantes et économiquement efficaces, guidées par des valeurs et finalités fortement ancrées dans les statuts, et non négociables. Si elle n’est pas exempte de faiblesses ni exonérée des contraintes que connaît toute entreprise, une des réussites de la SCOP, dans le contexte actuel, est de parvenir à associer le collectif (le « vivre ensemble » et la solidarité) et l’individuel (autonomie, responsabilité, développement), l’humain et l’économique. Oui, c’est possible !

La spirale vertueuse, organisée en cercles concentriques, des SCOP.
Fourni par l’auteur

Selon le réseau des SCOP, on dénombrait, fin 2022, 2606 de ces structures, présentes dans tous les secteurs d’activité, qui pèsent 58137 emplois et 8,4 milliards de chiffre d’affaires. Ces entreprises coopératives ont en outre enregistré une croissance de 11 % par rapport à 2021. Le taux de pérennité à 5 ans a augmenté de 3 points par rapport à 2021 : il atteint 76 % contre 61 % pour l’ensemble des entreprises françaises. La solidité des SCOP reste donc un sérieux atout de l’économie française pour les politiques de l’emploi mais aussi celles visant à favoriser le bien-être au travail.The Conversation

Claude Fabre, Maître de Conférences en Sciences de Gestion (spécialité ressources humaines), Université de Montpellier et Florence Loose, Maitre de Conférences en Psychologie Sociale, Université de Montpellier

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Leave a Comment