« Vous voulez quitter notre entreprise ? Mais pourquoi ?! »

« Quand l’employeur ne peut plus répondre aux attentes du salarié, celui-ci peut donc être amené à aller voir si l’herbe est plus verte ailleurs. »

L’entreprise ne doit surtout pas considérer le départ d’un collaborateur comme une trahison.
George Rudy/Shutterstock

Caroline Diard, École de Management de Normandie – UGEI et Nicolas Dufour, PSB Paris School of Business – UGEI

À l’heure où l’on parle de « guerre des talents », la rétention des employés hautement qualifiés est devenue un défi majeur pour de nombreuses entreprises. La théorie des ressources nous enseigne d’ailleurs que la pérennité d’une organisation repose sur sa capacité à attirer, développer et retenir ses ressources internes.

Du côté des employeurs, on oublie trop souvent que les collaborateurs compétents peuvent avoir envie de partir. C’est sans doute lié à une confusion entre les notions de vie professionnelle et de parcours professionnel. La différence de terme n’est pourtant pas neutre. En effet, un parcours recouvre l’idée de traversée, d’étapes délimitées dans le temps, alors que la notion de vie signifie physiologiquement un ensemble de fonctions, dont la fonction de relation à autrui.

Ainsi, lorsqu’on parle de parcours, on envisage aisément des stratégies individuelles d’évolution. Certains collaborateurs peuvent adopter un comportement parfois opportuniste en faisant des sauts de puce d’une entité à une autre.

Voilà pourquoi c’est fini

Souvent, les motivations de ces départs sont liées à des choix personnels, à des ambitions ou des crises de confiance et parfois à une forme de rupture du « contrat psychologique », qui englobe toutes les attentes non-écrites des deux parties, employeur et employé, l’une envers l’autre.

« Du contrat juridique au contrat psychologique », interview d’Yvon Pesqueux, professeur au CNAM (Xerfi Canal, 2014).

Ainsi, les salariés quittent leur entreprise pour différents motifs :

  • les conditions de travail (temps de trajet, environnement géographique, salaire, temps de travail, stress, etc.) ;
  • le souhait d’équilibrer vie professionnelle et vie privée ;
  • le souhait d’évoluer (rémunération, fonction ou contenu des missions).

Quand l’employeur ne peut plus répondre aux attentes du salarié, celui-ci peut donc être amené à aller voir si l’herbe est plus verte ailleurs. Mais au-delà de ces attentes relativement évidentes, la littérature managériale en matière de comportement organisationnel insiste sur la notion de justice organisationnelle et des attentes des employés en la matière. Certaines situations peuvent en effet paraître injustes aux collaborateurs qui adapteront alors leur comportement, par exemple en quittant tout simplement l’entreprise.

Les travaux sur le concept de justice organisationnelle (qui ont succédé aux contributions sur l’équité) révèlent trois formes principales de justice :

  • la justice distributive (perceptions et réactions individuelles quant aux rétributions reçues suite à une allocation des ressources) ;
  • la justice procédurale (équité perçue des processus et procédures permettant la répartition des rétributions, comportant à la fois la capacité perçue par l’individu d’exprimer son avis et son argumentation durant la procédure de prise de décision ainsi que la capacité d’influencer le résultat de la décision) ;
  • la justice interactionnelle (l’équité perçue du traitement interpersonnel reçu par l’employé de la part des figures d’autorité).

Si les salariés perçoivent une injustice à l’un de ces niveaux, ils vont alors exprimer leurs sentiments de manière « invisible », comme l’explique Thierry Nadisic, professeur en comportement organisationnel à l’EM Lyon Business School dans une interview accordée à lci.fr, ce qui va se traduire par « des retards, des pauses allongées, des négligences, un manque de respect des règles, voire des vols de matières premières ». Et lorsque plusieurs de ces injustices s’accumulent peuvent naître des « phénomènes de contagion émotionnelle, qui sont incontrôlables », précise l’auteur du livre « Le management juste ».

Réussir l’outboarding

Autre point souvent négligé par les employés : accompagner au mieux le départ, du collaborateur (quel que soit le motif de ce départ), de la même façon qu’il a été accompagné lors de son arrivée dans l’organisation. C’est ce qu’on appelle l’outboarding. Le piège serait de considérer la séparation comme une trahison. Cela reviendrait à rester sur le terrain de l’affectif. L’émotion doit donc être écartée, et ce pour plusieurs raisons :

  • le collaborateur pourra à l’avenir revenir dans l’entreprise ;
  • le collaborateur est peut-être un futur client ;
  • le collaborateur, une fois parti, peut nuire à l’image de l’entreprise, etc.

On veillera donc à échanger avec un collaborateur démissionnaire pour comprendre les raisons de son départ, écourter éventuellement son préavis. Cela permettra, dans un climat apaisé, d’assurer la transmission des informations et le recrutement dans les meilleures conditions de son remplaçant.

Il serait par exemple tout à fait inadapté de trop anticiper ce départ en attribuant le bureau du démissionnaire à un nouvel arrivant avant que ce dernier n’ait définitivement quitté l’entreprise. Lui demander de rendre son matériel informatique trop tôt pourrait aussi conduire le salarié sortant à penser que, finalement, son départ était attendu. La vie professionnelle étant constituée de parcours qui se croisent, il est opportun d’accompagner le collaborateur jusqu’à la fin effective de son contrat de travail.

L’entreprise a tout à y gagner. En effet, lorsqu’une organisation traite un salarié de façon positive, ce dernier ressent, en retour, le besoin d’adapter sont comportement afin de rendre un traitement similaire à son employeur et s’investir au maximum jusqu’au dernier jour de son contrat.The Conversation

Caroline Diard, Professeur associé en Management des Ressources Humaines et Droit – Laboratoire Métis – Membre de l’AGRH, École de Management de Normandie – UGEI et Nicolas Dufour, Professeur affilié, PSB Paris School of Business – UGEI

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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