À quoi sert le contrôle des chômeurs ?

Que sait-on des dispositifs de contrôle et de sanctions des chômeurs ? Quelle est leur efficacité sur l’accès à l’emploi ? Quelles sont leurs conséquences, voulues ou non ? Finalement, quelle est leur légitimité ?

Julien Faure, Pôle emploi/Flickr

Didier Demazière, Sciences Po – USPC

Le contrôle des chômeurs s’invite régulièrement dans le débat public. C’est le cas en France à l’occasion de la réflexion gouvernementale sur le renforcement du contrôle de la recherche d’emploi. Cette question polarise les opinions : pour les uns cette politique est souhaitable car elle favorise un retour plus rapide à l’emploi et permet une chasse aux fraudeurs ; pour les autres elle est erronée car l’action publique doit être focalisée sur le soutien aux chômeurs et éviter tout risque de stigmatisation de ces victimes de la pénurie d’emplois.

Les chômeurs ont toujours été contrôlés

La notion de recherche d’emploi joue un rôle central dans la naissance du chômage et sa différenciation par rapport à la pauvreté, au tournant des XIXe et XXe siècles. Pour être reconnu comme chômeur il n’est pas suffisant d’être sans emploi, il faut manifester sa volonté de travailler. Dès lors, comment apprécier cette volonté, mesurer sa force, estimer sa sincérité ? Comment trier entre les chômeurs involontaires et désireux de travailler, et les fainéants, paresseux ou profiteurs ?

Avec les premières institutions de placement et d’indemnisation, c’est l’obligation de recherche un emploi qui devient l’élément clé : tout chômeur a le devoir de rechercher un emploi, est soumis à des contrôles, et subit éventuellement des sanctions, variables selon les époques.

La situation actuelle n’est pas différente : le code du travail définit les droits et les devoirs des chômeurs.

Les droits sont conçus pour protéger ceux qui connaissent une situation peu enviable et dévalorisée ; ils consistent en un soutien institutionnel en vue de faciliter l’accès à l’emploi et en une indemnisation du préjudice (qui ne couvre qu’un peu plus de la moitié des chômeurs inscrits à Pôle emploi).

Les devoirs sont définis comme une contrepartie de cette protection ; ils imposent des obligations exigibles et vérifiables de recherche d’emploi, et de réponse aux convocations. La tendance contemporaine, soutenue par la stratégie européenne pour l’emploi, est à l’activation des chômeurs, au renforcement de leurs obligations, des contrôles comme des sanctions. Les expériences des chômeurs en sont transformées, et la recherche d’emploi tend à envahir et supplanter le chômage.

Dans une agence Pôle emploi (Chennevières-sur-Marne).
Pôle emploi/Flickr

Les formes de contrôles sont très variées

Le contrôle des chômeurs est une constante historique, qui répond au soupçon d’immoralité ou de fraude à l’égard de ceux qui vivent de la protection sociale. Mais comment contrôler, et avec quelle intensité ? Comment définir un équilibre entre devoirs et droits ? Les exemples européens montrent qu’il n’existe pas de consensus sur cet équilibre, par de convergence dans le calibrage des contrôles et les sanctions. Le rapport entre devoirs et droits est affaire de préférences, de valeurs, d’idéologies, d’appréciations, qui varient selon les individus, les groupes sociaux, les époques, les sociétés et leurs politiques de lutte contre le chômage.

Chaque pays a son système spécifique, les conditions d’indemnisation (couverture des chômeurs, calcul du montant des allocations, durée de versement) étant elles-mêmes différentes. La Grande-Bretagne a un dispositif très strict, combinant un engagement écrit du chômeur indemnisé précisant les démarches qu’il doit faire et le nombre d’heures qu’il doit y consacrer chaque semaine, un contrôle des preuves de recherche d’emploi lors d’entretiens bimensuels avec un conseiller, et un arrêt du versement des allocations en cas de manquement sans « bonne raison ». Ce système a entraîné le non-versement de 132 millions de livres (environ 150 millions d’euros) d’allocations en 2015, selon un rapport officiel.

En Allemagne, les chômeurs signent un « contrat d’insertion » définissant leurs obligations de façon moins précise, et prévoyant des sanctions, modulées selon des paramètres comme l’âge ou la durée de chômage. Au Portugal, les chômeurs indemnisés ont des obligations assez lâches : prouver qu’ils cherchent activement un emploi, accepter un poste convenable (en référence à leur ancien emploi) ou suivre une formation professionnelle correspondant à leur profil. En cas de non-respect de ces règles, ils risquent de perdre leurs indemnités.

L’obligation de produire des preuves d’une recherche active d’emploi est commune à tous les pays. Mais ce qui est exigible peut être codifié ou non, formalisé dans un contrat ou non, détaillé ou non. La recherche active d’emploi est donc conçue de manière différente, et l’appréciation des manquements est très variable, tout comme la fréquence des opérations de contrôle (par entretien plus ou moins espacés, ou par vérification continue du compte en ligne du chômeur comme au Danemark). Les sanctions sont aussi hétérogènes, car le versement du revenu de remplacement peut être affecté de manière graduelle ou non, partielle ou non, provisoire ou définitive. De plus, les conseillers et agents des institutions de l’emploi ont des marges d’appréciation très différentes selon les pays, en termes de contrôle comme de sanctions.

Panneau en Belgique.
fdecomite/Flickr, CC BY

L’efficacité du contrôle n’est pas établie

La mesure de l’efficacité du contrôle de la recherche d’emploi est délicate. La méthode habituelle consiste à comparer deux groupes de chômeurs, avant et après un changement de législation. Il s’agit de mesurer les effets sur les comportements de recherche d’emploi d’une menace, nouvelle, de sanction au regard d’une période où la menace était moindre : un contrôle accru active-t-il les chômeurs et les conduit-il à sortir du chômage ?

Le paradigme sous-jacent est celui d’une rationalité du chômeur, dont le système de préférences serait modifié par un renforcement des contrôles : pour éviter une sanction plus menaçante, il est incité à prospecter plus activement, à réduire ses prétentions professionnelles, et à abaisser son salaire de réservation en dessous duquel il n’est pas rationnel d’accepter un emploi.

Il est malaisé de repérer des résultats convergents, conformes à cette modélisation. Il est en effet difficile d’identifier des situations permettant de comparer les comportements de recherche d’emploi avant et après un changement de règles de contrôle. Aussi les cas analysés sont disparates : ils portent sur des programmes très différents (sanction temporaire ou non, progressive ou non), sur des catégories de chômeurs hétérogènes (jeunes ou non, de courte durée ou non, avec ou sans diplôme) et concernent des contextes contrastés (marché du travail dynamique ou non, niveau élevé de chômage ou non).

Se dégage néanmoins une tendance à la réduction de la durée d’indemnisation et à l’accroissement des sorties du chômage. Cela signifie que le renforcement du contrôle a des effets. Mais pas qu’il est efficace, car les emplois obtenus sont souvent de faible qualité, et que l’accès à l’emploi n’est pas la seule voie de sortie, puisqu’un resserrement des contrôles provoque aussi – et parfois plus- des passages à l’inactivité. De même, l’intensification de la recherche qui est observée se résume souvent à un surcroît de démarches réalisées pour les besoins du contrôle et non dans l’espoir de décrocher enfin un emploi.

Dans une rue de Laon (02) en 2013.
CHAMPARDENNAISAXONAIS/Flickr, CC BY-ND

Le contrôle pénalise les chômeurs en difficultés

D’autres approches, qui ne réduisent pas les comportements de recherche d’emploi à des arbitrages rationnels, montrent que l’intensification des contrôles a des effets différenciés et renforce les inégalités entre chômeurs. On sait de longue date que les chômeurs ne sont pas égaux face à la recherche d’emploi, d’abord parce que celle-ci est une activité dépendante de la durée de chômage.

Par définition, la recherche d’emploi expose à des échecs récurrents, et ceux-ci s’accumulent d’autant plus quand le chômage dure. Alors il devient difficile de maintenir ses efforts et d’entretenir sa motivation. À l’inverse les doutes se multiplient, les espérances de gains s’effondrent, le découragement s’installe parfois jusqu’au renoncement.

Aussi les chômeurs de longue durée sont-ils vulnérables face au contrôle, alors qu’ils représentent plus de 40 % des chômeurs inscrits à Pôle emploi, et qu’ils ont une employabilité (probabilité d’accès à l’emploi) affaiblie et qui continue de se dégrader.

Le renforcement des contrôles pénalise aussi les chômeurs qui recherchent autrement, et ont des difficultés pour produire des preuves tangibles de recherche d’emploi. Les rares enquêtes qualitatives auprès de chômeurs radiés pour insuffisance de recherche d’emploi montrent que cette recherche d’emploi officielle n’est pas adaptée à tous les profils de chômeurs.

Les démarches formelles permettent de mettre en valeur certaines qualités comme les diplômes, les expériences consistantes, les parcours cohérents, qui peuvent être aisément exhibées dans des CV et lettres de candidature. À l’inverse ces mêmes supports mettent en lumière les carences ou lacunes, tels un âge élevé, une longue période de chômage, un parcours discontinu, une absence de diplôme, une origine ethnique.

Aussi les chômeurs confrontés à ces difficultés tendent à délaisser une recherche d’emploi inadaptée pour privilégier d’autres démarches, moins formelles : prospection directe, concentration sur des territoires limités, réalisation de dépannages ponctuels, acceptation de tâches à l’essai parfois sur un mode informel. Ils investissent des petits réseaux pour tenter d’y faire reconnaître d’autres qualités informelles, comme la fiabilité, la rapidité, la confiance. Cette recherche d’emploi ne peut guère être attestée, car elle laisse peu de traces tangibles et qu’elle débouche parfois sur des petits jobs informels. Les chômeurs les moins employables ou stigmatisés par les méthodes de la recherche d’emploi formelle sont ainsi désavantagés par le renforcement des contrôles.

Aussi faut-il intégrer dans les débats sur le contrôle des chômeurs, les effets induits par les manières de mesurer et évaluer la recherche d’emploi. Cela conduit à interroger l’évidence selon laquelle ce sont les moins actifs et les moins méritants qui sont sanctionnés. Car les contrôles désavantagent avant tout ceux qui sont le plus en difficultés dans la quête d’un emploi : ceux qui sont découragés par la durée de leur chômage et peinent à y croire encore, ceux qui cherchent les moyens de ne pas exposer leurs lacunes et de démontrer leurs qualités informelles. Dès lors, le renforcement des contrôles risque d’accentuer les inégalités entre chômeurs, transformant les inégalités face aux chances d’obtenir un emploi en inégalités face aux chances de se maintenir dans le statut de chômeur. Il y a là matière à réflexion.The Conversation

Didier Demazière, Sociologue, directeur de recherche au CNRS (CSO), Sciences Po – USPC

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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